Animal Man, où quand la fiction dépasse l'hallucination
Voici donc venu le fameux article sur Animal Man dont je vous parlais la dernière fois. Cet article ne s'intéresse qu'au run de Grant Morisson. Et s'il est parfois nébuleux, c'est la faute de l'Écosse.
Alors Animal Man, kikessé ?
Personnage de DC Comics créé en 1965.
Animal Man (Bernhard "Buddy" Baker) a comme pouvoir la capacité
d'emprunter les caractéristique d'animaux près de lui. Genre s'il y a un
oiseau qui passe, il peut voler, un éléphant et il devient super costaud. Buddy est resté un personnage mineur
(voir oublié) pendant plus de 20 piges. Quelques apparitions par ci et
par là puis c'est tout. Puis arrivent la fin des années 80 et la fameuse
"Brit Wave" dont je vous avais déjà parlé dans le deuxième paragraphe de cet article. Pendant que Alan Moore
reprend The Swamp Thing, Grant Morrison (Dieu, vous vous souvenez ?)
propose à DC un pitch de 4 numéros reprenant ce super-héros dont tout le
monde se fout. Les ventes se passent très bien et Morrison se voit donc
embarqué sur un run de 2 ans et 26 numéros où il va tout se permettre.
Oui, oui. Tout.
Les premiers numéros ont donc pour but de nous représenter le
personnage, post-crisis (donc, après Crisis On Infinite Earths dont je parle dans mon article précédent, où
tout DC a été rebooté, c'est-à-dire que les orgines de tous les personnages ont été plus ou moins modifiées). Buddy n'est pas tout à fait le super-héros
lambda. Déjà il n'a pas d'identité secrète malgré son pseudo, tout le monde sait que c'est lui derrière le costume.. Ensuite,
il est marié et a deux enfants. Ce qui en fait un personnage assez
pragmatique au final. Après avoir été cascadeur pendant quelques années,
Buddy décide de reprendre le costume de super-héros et d'intégrer la
JLE (équivalent européen de la JLA), principalement pour avoir un salaire fixe et une assurance maladie !
Animal Man devient également une sorte d'alter ego de son
scénariste puisque Morrison en fait un végétarien militant pour les
droits des animaux, comme lui.
En tant qu'introduction, Animal Man
décide de reprendre l'entraînement, ce qui nous permet de découvrir ses
pouvoirs et leur fonctionnement de manière assez précise. Et de réaliser
que Buddy s'interroge déjà sur leur source exacte. Dans la grande
tradition Morrisonesque, se première aventure voit réintroduire un
personnage totalement oublié depuis pas mal d'années (et c'est
compréhensible): B'wana Beast, super-héros africain au casque permettant
le contrôle mental et la fusion des animaux (!!), autant dire un
personnage très désuet. Mais sous la plume de Morrison, il devient un
être en quête de vengeance après que son acolyte (un gorille) ait été
capturé par des scientifiques américains. Dès cette première histoire,
nous sommes donc confrontés à des héros aux motivations et agissements
plutôt décalés. Animal Man se demandant lui-même s'il combat le bon ennemi. Même si le tout semble enveloppé dans une forme assez
classique.
Forme déjà bien explosée dès l'histoire suivante qui
est un hommage à Wile E. Coyote, le bon vieil ennemi de Roadrunner (Bip
Bip chez nous), accentuant l'aspect tragique de ce personnage dans une
histoire voguant entre réalisme et trip visuel sous acides. "The Coyote Gospel"
est un chef d'œuvre, point.
Suivent plusieurs numéros un peu plus classiques mais non moins
passionnants, et puis toujours avec cette petite "touch" en plus, où
l'on croise le Mirror Master (un méchant d'origine écossaise, donc
Morrison doit bien l'aimer), un ancien super-méchant suicidaire, la
Martian Manhunter, et Vixen de la JLE. Puis on arrive au second arc
important où des aliens viennent nous causer de problèmes dans la
continuité (!), où les origines pré-crisis et post-crisis d'Animal Man
semblent se mélanger (!!) et où le tout est réglé de manière bien
étrange à base d'altération/réparation de la réalité (!!!).
Nous
continuons avec le retour de B'wana Beast (qui passe le drapeau à un
nouveau qui devient Freedom Beast, c'est mieux), du Mirror Master qui a
des problèmes avec ses employeurs car il n'a pas assez effrayé Buddy, et
le Time Commander, méchant assez troublé pouvant faire ressurgir le
passé. Toutes ces histoires sont également traversées de petits passages
mystérieux comme un individu observant Buddy et sa famille dans
l'ombre, ou d'étranges phrases apparaissant sur un ordinateur toutes
seules. Tout ça entre un peu de physique quantique citant David Bohm (et sa théorie de l'ordre implicite) et
de la protection des animaux dérivant dangereusement en terrorisme.
Un programme plutôt chargé donc.
Bien, on arrive à présent dans la partie de cette review où il y a des
GROS SPOILERS. Mais vraiment, hein. Pas du petit spoiler de fillette.
Alors c'est à vos risques et périls, ok ? Si vous comptez un jour lire la série et voulez conserver l'effet de surprise, il faut arrêter de lire maintenant !
Bon. Vous êtes encore là apparemment. Alors continuons.
Animal Man
décide d'en apprendre un peu plus sur ses pouvoirs et sur les évènement
de plus en plus bizarres qui lui sont récemment arrivés. Pour cela, il
part dans un trip mystique en prenant du peyotl (une drogue
hallucinogène bien puissant pour ceux qui connaissent pas) sur une
montagne. Et là j'ai vu certaines des pages les plus barrées que j'ai pu
voir dans un comic-book, à base de renard-totem, d'annonce
d'apocalypse, de pluie de sang, de baleine biblique... Buddy redécouvre
ses pouvoirs en réalisant qu'il a accès aux capacités de n'importe quel
animal existant ou ayant existé sur la planète. L'hallucination (révélation ?) finit sur Animal
Man rencontrant son alter ego pré-crisis (disant qu'il lui a volé sa
vie) puis prenant conscience de la présence du lecteur, et brisant ainsi
le quatrième mur.
Un drame arrive en suite dans sa vie (je suis gentil, au cas où vous
soyez assez faible pour vous spoiler jusqu'ici, je ne précise pas la
nature du drame) et Animal Man part en vendetta sanglante contre les
employeurs de Mirror Master. Ceci n'étant pas sans rappeler l'attitude
de B'wana Beast un peu plus tôt. Pendant ce pétage de plomb, Buddy
devient bien plus proche d'un animal que d'autre chose, et son statut de
super-héros n'est même plus présent à l'esprit du lecteur. Animal Man
trouve ensuite un moyen de retourner dans le passé pour essayer de
corriger les choses, et c'est là qu'arrive le toutéliage avec les
apparitions mystérieuses des numéros précédents. Mais il se rend compte
qu'il n'a pas le pouvoir de changer les évènements et revient
difficilement dans le présent.
Pendant ce temps, un nouveau
partage en vrille total arrive avec le Psycho Pirate, qui est l'un des
seuls personnages à se souvenir des évènements de Crisis on Infinite
Earths et la destruction du multiverse. Celui-ci est devenu
complètement fou à cause de ces souvenirs, et réalise également qu'il
n'est qu'un personnage fictif, puis réussit à recréer des personnages
zappés de la continuité pendant Crisis, ceux-ci prenant également
conscience de leur nature fictive. Animal Man règle tout ça grâce à sa
nouvelle prise de conscience du plan de réalité où il se trouve (un
comic-book, donc), et en en déjouant les règles (ce qui se traduit par exemple par sa possibilité de sortir du cadre des cases.
Deux concepts intéressants sont soulevés pendant ce passage. D'abord celui d'ellipse temporelle, où les personnages réalisent donc que les seuls moments qu'il "vivent" sont ceux dessinés, et donc des cases, des instants figés. Et que plus le personnage est mineur, plus ces instants sont peu nombreux. Tout le reste de leur vie n'est qu'une mémoire d'évènement n'ayant jamais eu lieu.
L'autre concept est celui d'immortalité. Car comme le dit l'un des personnages, leurs vies sont rejouées à chaque fois que quelqu'un lit ou relit une histoire où ils sont présents. Ils survivent donc à leurs créateurs, leurs Dieux.
Puis arrive la dernière quête du personnage. Celle-ci commence par un
trajet dans les "Limbes du comic book" où se trouvent tous les
personnages oubliés, qui n'ont plus été utilisés par des scénaristes
depuis des lustres. Qui sont démodés. Morts jusqu'à une éventuelle
résurrection. Si l'attachement de Morisson pour ce genre de persos n'était pas clair avant; il le montre bien à présent (ce qui explique pourquoi il ramène à chaque fois ce genre de seconds couteaux dans ses histoires). Buddy apprend qu'il a été là autrefois, mais qu'il l'a
oublié.
Et à la fin de son périple, il rencontre Dieu, le créateur.
C'est à dire Grant Morrison lui-même.
On
assiste alors à une étrange confession sous forme de métafiction. Où Morrison (qui même s'il apparaît en tant que personnage, s'exprime en tant qu'auteur) démontre à Animal
Man qu'il contrôle ses gestes et paroles, ainsi que tous les évènement
qui arrivent dans sa vie. Puis, l'auteur nous raconte sa vision du comic
book; sa passion, ses souhaits, ses limites.
L'une des ses interrogations m'a en particulier marqué; il avoue à Animal Man qu'ils (il dit en fait "nous") avaient décidé de dépeindre son monde de manière plus violente afin de le rendre plus réaliste, plus adulte. Une décision qu'il semble en partie regretter. Au-delà du questionnement métaphysique (qui est bien présent) Je me demande à quel point Morrison critique ici la direction alors prise des comic books en général. Et ayant d'ailleurs influencées les séries que nous lisons à présent. Puisque c'est bel et bien à ce moment que la plupart des éditeurs mainstream se sont lancées dans ce qu'ils appellent donc des histoires "plus adultes".
Car c'est là qu'on se rend
compte que tout le run de Morrison est une analyse même du média qu'il
utilise. Voir de l'écriture de fiction en général. Du pouvoir absolu qu'à un auteur sur sa création (oui, bon toute question éditoriale mise à part évidemment). Il finit en annonçant
à Animal Man que c'est son dernier numéro et qu'à présent un autre
scénariste va écrire sa vie. Il ne montre pas particulièrement
d'émotions, ne fait qu'annoncer des faits. Il semble même un peu blasé.
Et pourtant les
dernières images sont tout aussi troublantes que le reste. Buddy revient
à son univers, mais se voit accordé un deus ex machina qui répare les
drames du passé. Tout finit bien pour lui. Un cadeau de son créateur. Ce
même créateur qui lui reste troublé, rempli de doutes.
Cherchant une lueur d'espoir dans un monde plus cruel que n'importe quelle œuvre de fiction.